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Le bannissement de l’élimination du papier et du carton: une utopie potentiellement néfaste

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La couleur verte est associée à la protection de l’environnement tout autant qu’elle est synonyme d’espoir. Or, bien qu’il soit souhaitable que le premier soit tributaire du second, il serait opportun de rappeler à notre législateur que l’atteinte d’objectifs visant à améliorer l’environnement requiert davantage que de l’espoir pour y parvenir.

L’annonce du bannissement imminent du papier et du carton des sites d’enfouissement s’inscrit selon nous dans cette mouvance d’initiatives maladroites visant l’imposition de modifications des habitudes de vie de la société qui sont vouées à l’échec. Il s’agit d’une utopie, puisqu’il est impossible de se conformer au bannissement imposé, et ce, sans égard à la volonté des citoyens de le respecter.

Non seulement un tel bannissement semble irréalisable à court terme, il nous paraît même risqué puisqu’il pourrait avoir des effets pervers qui mineraient grandement les efforts de valorisation des matières résiduelles de notre société et qui fragiliseraient un domaine en émergence que tous souhaitent durable.


Un rêve irréalisable

La volonté de bannir les matières organiques de l’élimination au Québec fut introduite dans la Politique de gestion des matières résiduelles, qui prévoit que l’enfouissement du papier et du carton sera banni en 2013 et que celui du bois le serait en 2014. Ce bannissement devait être concomitant avec le début de l’exploitation des usines de biométhanisation qui devaient gérer ces matières.

Malgré un retard dans la mise en exploitation de ces usines, le législateur annonce qu’il ira de l’avant avec le bannissement qui sera introduit dans la législation québécoise par une modification de la liste des matières non admissibles à l’enfouissement du Règlement sur l’enfouissement et l’incinération des matières résiduelles pour en exclure le papier et le carton de provenance résidentielle, industrielle, commerciale et institutionnelle (ICI). Ainsi, les exploitants de lieux d’enfouissement et les transporteurs de matières résiduelles seront passibles d’amendes ou de sanctions administratives pécuniaires s’ils transportent du papier ou du carton vers un lieu d’enfouissement ou s’ils l’enfouissent.

En l’absence d’imputabilité des générateurs de matières résiduelles, nous sommes d’avis que la simple modification de la liste de matières résiduelles non admissibles n’aura aucun impact sur les habitudes de vie des citoyens. Dès lors, le papier et le carton continueront inévitablement d’être acheminés vers les lieux d’enfouissement, étant donné que ni les transporteurs et ni les exploitants de sites ne peuvent faire le tri des matières résiduelles qui s’y rendent.

La véritable source du problème demeure toutefois l’absence de moyens pour respecter une telle interdiction pour les particuliers. Ainsi, même dans l’optique où le législateur parvenait à convaincre l’ensemble de la population du Québec de ne plus jeter de papier ou de carton aux poubelles, nous ne serions pas au bout de nos peines, puisque ce n’est qu’une petite partie des ménages québécois qui est desservie par une collecte de matières organiques, communément appelée collecte à trois voies. Force est de constater que deux choix s’offrent à la majorité des contribuables : la poubelle ou le recyclage.

Étant donné que ce n’est pas l’ensemble du papier et du carton qui peut être valorisé, la population fera face à un dilemme insoluble : que faire des papiers et cartons souillés qui ne pourront être valorisés et qui ne seront plus admis à l’enfouissement?

D’où l’impraticabilité du bannissement pour l’heure.


Des conséquences potentiellement néfastes

D’aucuns pourraient prétendre que seuls les opérateurs des lieux d’enfouissement subiront l’impact de cette interdiction. Nous sommes plutôt d’avis que l’industrie des matières résiduelles dans son ensemble risque d’être affectée.

Le bannissement mettra les lieux d’enfouissement dans une situation d’illégalité immédiate, car le moindre bout de papier ou de carton présent dans un chargement destiné à l’enfouissement pourra entraîner l’imposition de sanctions administratives pécuniaires et de sanctions pénales.

Les exploitants seront donc dans une situation intenable : ils devront soit refuser tout chargement qui contiendra de telles matières, c’est-à-dire la quasi-totalité des chargements, ou s’exposer à des sanctions pécuniaires de 7 500 $ chacune ou pénales s’échelonnant de 24 000 $ à 3 000 000 $. Sans compter la responsabilité des administrateurs et les risques de révocation des autorisations émises pour non-respect de la loi.

Si les exploitants optent pour la première option, les municipalités se trouveront dans une situation fort délicate, car elles ne pourront éliminer leurs matières résiduelles. Dans le deuxième scénario, ce sont les exploitants qui seront dans une situation précaire et il est fort à parier qu’ils devront augmenter leurs tarifs pour tenir compte des risques et des frais qui découlent de la modification réglementaire.

Un autre effet pervers découlerait de la volonté de la population de se conformer en envoyant l’ensemble du papier et carton aux centres de récupération, sans distinction. Dans une telle éventualité, c’est la filière de la valorisation qui se verrait grandement impactée par l’interdiction. Les bacs de recyclage seraient remplis de matières impropres à la valorisation qui risqueraient de souiller les autres matières. Les centres de récupération se retrouveraient donc à manipuler une plus grande quantité de matières, dont une forte proportion n’aura aucune valeur, augmentant ainsi leurs coûts d’exploitation et réduisant leurs marges de profits. Ce qui pourrait s’avérer catastrophique pour une filière fragile telle celle du recyclage.

Et la question demeure entière : que feraient les centres de recyclage de toutes les matières impropres à la valorisation? La filière du recyclage hériterait de l’épineux problème puisqu’elle ne pourra envoyer ces matières à l’enfouissement.

L’intention du législateur de bannir l’enfouissement du papier et du carton en 2014 nous apparaît donc vouée à l’échec et risque même de créer un problème circulaire qui va à l’encontre de l’objectif visé. Le bannissement tel quel le proposé actuellement ne pourra être une avenue viable tant que les matières visées ne pourront pas être aisément prises en charge. Espérons que le législateur le réalisera avant qu’il ne soit trop tard.