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La procureure générale du Québec subit un important revers dans la récente décision 3563308 Canada inc. C. Québec (Ministère des transports), concernant les milieux humides

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Le litige repose essentiellement sur la qualification et la protection attribuée aux milieux humides et a comme conséquence concrète d’imposer au Ministère des Transports (MTQ), la destruction de l’Échangeur de la Montée des Pionniers (l’Échangeur) situé à Terrebonne. Il devra être reconstruit, car dans sa configuration actuelle, il cause d’importantes inondations sur la propriété de la demanderesse, 3563308 CANADA INC. (Héritage Terrebonne). Le MTQ qualifiait toutefois la propriété de milieu humide devant être protégé.

Cet important jugement envoie un message clair et fort au gouvernement et à tout entrepreneur, constructeur ou promoteur puisque la Cour confirme, une fois de plus, le pouvoir qu’ont les tribunaux d’ordonner la démolition d’ouvrages non conformes à la Loi sur la qualité de l’environnement (LQE) et ses règlements lorsque ces ouvrages sont sources de préjudices pour des tiers ou portent atteinte à la qualité de l’environnement, et ce, peu importe l’ampleur de l’ouvrage à démolir.

Les faits

L’entreprise de développement immobilier Héritage Terrebonne a acquis en 1999 de vastes terrains d’une superficie approximative de 265 hectares situés sur le territoire de la Ville de Terrebonne (le Site), dans l’optique de les développer lorsque le moment serait opportun. Un certain engouement immobilier se produit dans les années 2000, avec la jonction des autoroutes 640 et 40, l’arrivée de l’Hôpital Pierre-Le-Gardeur et du train de l’Est et de quelques développements immobiliers et commerciaux dans le secteur. Héritage Terrebonne veut à son tour aller de l’avant avec son projet immobilier.

Les nombreuses constructions récentes ont comme effet de perturber quelque peu l’écoulement naturel des eaux dans le secteur notamment par la disparition de ponceaux, mais c’est en 2007, avec la construction de l’Échangeur àla limite sud du Site, que la situation change drastiquement. D’importants problèmes de drainage surviennent, de sorte que le Site se retrouve largement inondé. Héritage Terrebonne mandate des experts dans le but de trouver la source du problème et entreprend des travaux d’entretien dans les limites de sa propriété, qui donnent lieu à l’émission d’avis de non-conformité par le MDDELCC1, qui considère que les travaux ont été effectués dans des marécages, et qu’ils étaient donc assujettis à l’obtention d’uneautorisation en vertu de l’article 22 de la LQE.

Les recours intentés

Héritage Terrebonne intente donc un recours en injonction, exigeant que le MTQ corrige les ouvrages qui empêchent l’eau de s’écouler naturellement et affirme que ces terrains ne doivent pas bénéficier de la protection prévue à la LQE, car ils ne sont pas des milieux humides au sens de cette loi, ce qui aurait eu pour effet d’empêcher le développement immobilier. Parallèlement, Héritage Terrebonne dépose également une requête en jugementdéclaratoire par laquelle elle demande à la Cour de clarifier l’interprétation des termes «milieux humides» mentionnés au 2ealinéa de l’article 22 de la LQE, et de déclarer que le Site ne comporte pas de tels milieux, sauf pour une faible superficie. Les deux requêtes ont été réunies et ont donné lieu au jugement du 4 juin 2015.

Bien que plusieurs questions aient été débattues, deux d’entre elles retiennent notre attention. La première consiste à déterminer si, peu avant la construction de l’Échangeur,il existait des milieux humides visés par la LQE sur le site, et si oui, à quel endroit. La deuxième question quant à elle, était de déterminer si Héritage Terrebonne est en droit d’exiger la correction de l’Échangeur, afin de permettre le libre écoulement de l’eau sur sa propriété.

L’analyse législative et terminologique

Afin de répondre à la première question, la magistrate devait d’abord s’interroger sur l’interprétation à donner aux milieux à protéger. Au travers des positions opposées des parties et de leurs experts, elle tire certaines conclusions relatives aux milieux humides.

L’alinéa 2 de l’article 22 de la LQE mentionne que «quiconqueérige ou modifie une construction, exécute des travauxou des ouvrages, entreprend l’exploitation d’une industrie quelconque, l’exercice d’une activité ou l’utilisation d’un procédé industriel ou augmente la production d’un bien ou d’un service dans un cours d’eau à débit régulier ou intermittent, dans un lac, un étang, un marais, un marécage ou une tourbière doit préalablement obtenir du ministre un certificat d’autorisation.»La LQE n’offre pas de définition de ces termes.

Cette problématique a donné lieu à une abondante jurisprudence et cette décision s’inscrit dans la lignée de jugements mentionnant que les définitions des dictionnaires usuels constituent le meilleur point de départ pour analyser les termes d’une loi. Elle établit qu’il serait faux d’avancer, comme le fait Héritage Terrebonne, que la protection offerte par le LQE ne s’applique qu’aux milieux humides d’origine naturelle et non à ceux résultant d’activités anthropiques. Par ailleurs, elle affirme que pour qu’un milieu humide en soit réellement un, tel que l’entend le législateur, celui-ci doit correspondre à toutes les caractéristiques qui lui sont propres et reconnues. L’analyse doit être faite de manière à ce que les termes soient pris «dans leur contexte global, en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur»2. La décision indique que pour effectuer la caractérisation d’un milieu, la présence d’eau n’est pas le seul élément à considérer. La végétation et la nature des sols sont des éléments tout aussi déterminants et doivent être retrouvés pour qu’un terrainpuisse être qualifié de milieu humide. Chacune des situations doit être étudiée en analysant ces trois critères.

La Procureure générale du Québec base notamment son analyse des faits sur le Guide d’analyse des projets d’intervention dans les écosystèmes aquatiques, humides et riverains, lequel offre des définitions des termes étudiés. Héritage Terrebonne s’oppose à l’utilisation de cette fiche technique en affirmant qu’elle ne peut définir les termes de la loi, mais la Cour n’est pas de cet avis. En effet,la juge Lalande reprend un passage de la récente décision Société en commandite Investissement Richmond c.Québec3, dans laquelle le juge Yergeau s’exprimait ainsi:

«[…] Il est acquis depuis longtemps, sans qu’il soit requis d’y revenir, que l’adoptionde politiques, de guides ou de directives pour faciliter l’application des lois est parfaitement adaptée aux réalités actuelles. Ces documents permettent à la fois de baliser le pouvoir discrétionnaire d’un ministre et de permettre aux justiciables de mieux connaître la façon dont les demandes seront traitées par les pouvoirs publics».

La Cour juge donc que l’application de ce guide est pertinente en l’espèce.

L’analyse de la preuve

Une fois ces principes généraux établis, la cour fait le constat suivant

«[107] Ayant déjà conclu que la détermination de la présence de milieux humides à protéger doit se faire au moment où arrive l’Échangeur, il faut alors préciser si de tels terrains existent et, le cas échéant, établir leur superficie. Ensuite, il faut déterminer, si depuis la construction de l’ouvrage, il y a eu perturbation desdits milieux humides ainsi que ceux en périphérie, et décider si la présence de cette nouvelle infrastructure en est la cause.»

Afin de tirer ses propres conclusions, le jugement dissèque les multiples rapports d’experts fournis de part et d’autre. Loin de nous l’idée de reprendre l’analyse au grand complet, nous référerons donc aux grandes lignes de celle-ci.

En somme les experts d’Héritage Terrebonne affirment que c’est l’arrivée des différents aménagements, au fil des ans, qui est à la base de la perturbation du régime hydrique. Ces aménagements ont amené une transformation progressive du milieu en un milieu humide, puis inondé en 2007. Ils précisent que ces apports en eau affectent l’environnement et que si la situation n’est pas modifiée, la forêt se transformera inévitablement en marais.Des experts en génie hydraulique en arrivent aux mêmes conclusions, et démontrent eux aussi avec crédibilité que l’Échangeur agit comme un véritable barrage hydraulique. Les experts de la demanderesse concluent que le milieu biologique en place n’est pas en équilibre et souffre de ces perturbations. La Cour souligne à plusieurs reprises que le travail effectué par les experts de de la demanderesse est impressionnant, minutieux et convainquant.

Les experts mandatés par le MTQ ne partagent pas ces conclusions. Toutefois, ils ne sont pas en mesure de présenter des argumentsqui puissent, de près ou de loin, convaincre la Cour que la théorie de la demanderesse doit être réfutée. Les experts expliquent que l’Échangeur a été construit en tenant compte des infrastructures érigées et du régime hydrique en place et qu’en somme, leMTQ n’a fait que respecter les milieux humides existants au moment de la construction de l’Échangeur. Les espèces observées permettent de croire que le Site est un vaste milieu humide, devant être protégé. La Cour, de manière générale, ne se dit pas impressionnée du travail accompli et présenté par les experts du MTQ, qu’elle juge très faiblement soutenu. Elle souligne notamment qu’il est assez curieux que parmi les experts retenus, le MTQ ait retenu les services du même expert pour la conception de l’Échangeur, sa réalisation et pour l’évaluation des travaux en vue du présent litige après 2007.

En somme la Cour se fie sur les experts d’Héritage Terrebonne pour délimiter les milieux humides présents sur le Site peu avant la construction de l’Échangeuret affirme qu’il y en avait bel et bien, mais certainement pas de l’ampleur que le MTQ le suggère, soit la quasi-totalité du Site. La Cour conclut également que l’Échangeur empêche le libre écoulement des eaux et que celui-ci a été néfaste pour les milieux humides qui étaient présents avant sa construction. Héritage Terrebonne est donc bien fondée de demander la démolition de l’ouvrage pour qu’il soit corrigé.

Un constat surprenant et fort utile

Cette décision est frappante à plusieurs niveaux. On remarque que la Cour ne se gêne pas pour ordonner la démolition d’un ouvrage non conforme à la réglementation, qui nuit à autrui et à la qualité de l’environnement. De plus, cette décision fait d’importants reproches orientés vers le MTQ et le MDDELCC. Le jugement indique que la preuve présentée donnait l’impression que le désir de qualifier correctement les lieux n’était pas au rendez-vous de leur côté et incidemment, que les professionnels retenus ont tenu des propos tendancieux. Il ressort que le Tribunal se questionne sur la réelle intention du MTQ de comprendre la dynamique hydrique et, de manière plus importante, d’identifier ce qui devrait être protégé, ce qui devrait être pourtant l’objectif premier de ces ministères.

S’il est inquiétant de savoir que nos ministères défendent de telles positions, il est toutefois rassurant de savoir que nos tribunaux osent remettre les pendules à l’heure et leur impose de procéder aux correctifs requis pour rétablir la situation.

De plus, cette décision servira certainement de guide dans le futur pour déterminer si nous sommes, ou non en présence de milieux humides protégés par la loi puisqu’elle clarifie plusieurs aspects qui étaient la cause de divergence entre le MDDELCC et les contribuables.

Finalement, il est fort à parier que les experts et les avocats vont s’inspirer des commentaires du Tribunal concernant le travail des experts et l’indépendance requise pour ce faire, afin d’éviter de voir leurs opinions écartées aussi clairement à l’avenir.